Abstraction...
Dasnoy Barbara Dasnoy rappelle avec raison que «le mot abstraction reste toujours et encore lieu de malentendus». Grave malentendu si l’on s’obstine à penser que l’abstraction se coupe du réel, de sa matérialité, qu’elle se détourne du concret, ne prend pas en considération les détails du visible. Peut-être faut-il alors revenir au sens ancien du mot qui équivalait à celui de extraction : action de retirer un chose du milieu ou elle est enfouie, cachée.
La peinture de Barbara Dasnoy accomplit ce geste d’extraction, elle dégage des formes, des structures du visible non perceptibles au premier regard, elle traduit en couleurs, en traits obliques, horizontaux, en taches, marbrures et hachures les «signes silencieux» qu’elle repère et déchiffre à force d’observation, de méditation, elle les conduit vers la clarté, les rend lisibles.
Cette lisibilité séduit autant la vue que l’ouïe et le toucher tant sont subtils, dans ses tableaux, les jeux de transparence des couleurs. Certaines toiles ont des luisances d’émaux, l’œil a la sensation d’effleurer les couleurs (ou d’être effleuré par leurs lueurs ?) ; certaines évoquent des vitraux flammés d’orangé, de vermeil, de bleu nuit ou de mauve, et, comme les vitraux elles dispensent une impression de force contenue, d’équilibre et de douceur. Cette impression s’intensifie devant les toiles en «blanc majeur» de la série (2005) désignée par l’intitulé paradoxal : «sans titre».
Sans titre, sans nom, sans qualificatif, sans aucun indice – mais pas sans puissance ni présence. Puissance du dépouillement, de la blancheur lumineuse, vigueur d’une harmonie austère, présence vive et vierge par la voie d’absence. Là, le palpable devient caresse : caresse du blanc sur fonds gris, rouille, noir, caresse de blancheur à fleur du regard – et c’est ainsi que par ondes discrètes la caresse du visible donnée à l’invisible se retourne, et l’invisible vient affleurer en un soupir de neige, la peau du visible.
Soupir du silence, lente expiration de formes, de lignes, de vibrations s’extrayant du fond sans fond du visible, longue et fine inspiration des couleurs au rythme de cette exhalation – tel est l’échange qui patiemment, passionnément s’accomplit entre le visible et son double, ou plutôt sa doublure d’invisible.
La peinture est un art de respirer le visible, avec ampleur et profondeur, l’abstraction est un certain phrasé donné à ce souffle. Le phrasé pictural de Barbara Dasnoy, alliant la rigueur et la délicatesse, fait entendre les couleurs du silence.
Sylvie Germain - écrivain, Pau, mai 2007
Sylvie GERMAIN is a writer who has received many distinctions, including the 1989 Prix Femina and the Jean Giono Grand Prix in 1998.